C’était le dimanche 26 février 2012 – eh oui, plus de six ans déjà – et l’inimaginable se produisait : un commando paramilitaire débarquait chez Meister, une très moderne usine sur le zoning industriel de Sprimont. Les hommes étaient armés. Et venaient s’emparer, sur l’ordre des responsables de la société Poppe und Potthoff, le groupe allemand propriétaire des lieux, de pièces usinées et de machines de production installées sur place…
L’usine connaissait alors un conflit social tout ce qu’il y a de plus classique : la direction, invoquant une situation économique difficile, avait licencié neuf personnes sur la petite centaine de travailleurs occupés à Sprimont. Neuf, dont deux délégués syndicaux.
Meister Benelux était un sous-traitant dans la construction automobile, travaillant pour les plus grands noms de l’industrie allemande du secteur. Elle fournissait essentiellement des pièces de système de freinage ABS. Le groupe propriétaire, manifestement, cédait aux sirènes de la sous-sous-traitance dans les pays de l’est, préférant les bénéfices immédiats liés aux bas salaires plutôt que la qualité liée à la compétence des travailleurs belges. Et la crainte de la délocalisation était latente, d’autant que des lignes du groupe existaient déjà en Tchéquie et que démonter les machines pour les transporter était somme toute assez simple. D’où la tentative de février 2012.
Une tentative déjouée par la présence de quatre travailleurs sur le site, sans doute « oubliés » par la direction… Les travailleurs présents avaient sonné le rappel de leurs camarades, le tam-tam digital des réseaux sociaux était remonté partout à la FGTB Métal Liège-Luxembourg, les militants avaient afflué sur le site. Quelques 250 casaques rouges avaient piégé le commando allemand dans l’usine. Il y avait eu un peu de castagne, beaucoup d’insultes, énormément de tensions. La police était arrivée et les robocops privés avaient fini par plier bagage et par être reconduits sous escorte à la frontière. Curieusement sans relevé de leur identité, ni confiscation des armes dont ils disposaient en abondance…
La justice avait été saisie, à l’initiative de la FGTB-Métal et du parquet de Liège. Accusés : les actionnaires allemands, leurs représentants en Allemagne et en Belgique, le management qui avait recouru au service d’une société de sécurité plutôt musclée et les responsables de cette société elle-même. Les préventions étaient nombreuses : tentative de vol, violences au travail, dissimulation d’informations aux organes de concertation sociale, appartenance à une milice privée et recours à celle-ci, séquestration, détention d’armes…
Et la justice a suivi son cours, un cours d’autant plus lent que les avocats des prévenus ont utilisé toutes les ficelles de la procédure. Par exemple, ils ont obtenu que le dossier soit transféré de Liège à Eupen pour être débattu en allemand, puisque plusieurs des prévenus étaient germanophones. Certes, c’est un droit démocratique, mais on peut se poser des questions sur l’incapacité à comprendre le français de cadres germanophones dirigeant une entreprise à Sprimont…
Quoi qu’il en soit, six ans après, le tribunal correctionnel a tranché. Et le sentiment général à la lecture de l’arrêt est qu’il y a eu, en l’occurrence, une justice, même si l’on peut toujours avoir un goût de « trop peu ».
Ainsi, le tribunal a décidé qu’il y avait bien tentative de vol (pour les machines, mais pas pour les produits finis) ; qu’il y a bien eu des faits de violence au travail ; et qu’il y a bien eu séquestration (deux des quatre travailleurs présents ce dimanche-là avaient été bloqués dans l’usine). Les autres préventions n’ont pas été retenues, notamment la thématique de la milice privée et tout ce qui concerne les armes prohibées, la société de robocops s’en tirant d’ailleurs a particulièrement bon compte. D’où un sentiment quelque peu mitigé.
Les personnes physiques ont été condamnées à diverses peines assorties d’une suspension du prononcé de trois ans et la société à une amende de 120.000 €. Dérisoire par rapport aux faits ? Chacun se fera son opinion, mais il est extrêmement rare que, dans ce type d’affaire, une société et son management soit condamnés à des peines et des amendes. Or, c’est le cas ici…
Tout ça, évidemment, ressemble aussi à Carême après Pâques, comme le résume le dicton. Meister Benelux a finalement disparu en 2014, l’actionnaire ayant choisi la voie de la faillite. Celle-ci laissait 65 travailleurs sur le carreau, lestés des seules indemnités du fonds de fermeture. Mais comme une victoire ne vient jamais seule, les victimes du crash Meister Benelux bénéficieront peut-être d’une autre décision judicaire, datant de mars de cette année : le groupe Poppe & Potthoff a été condamné à rembourser à la curatelle une somme de 1,4 millions d’euros. Elle correspond au montant d’un dividende versé par Meister à son actionnaire en 2013. Un dividende plantureux, alors que tout allait mal, disaient-ils…